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L’engagement : I - L’engagement apolitique est-il possible ?
Heurs et malheurs de l’engagement politique au Gabon
Archange Bissue Bi-Nze
Résumé | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Notes | Références
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RÉSUMÉ

En ce début du xxie siècle, l’engagement politique au Gabon a deux périodisations : de 2000 à 2009, c’est l’étape de la stabilisation ; de 2009 à nos jours, c’est la phase de configurations nouvelles. Les personnes engagées sont de toutes les générations : les jeunes (BLA, etc.) sélectionnés dans cette analyse représentent la nouvelle génération, et les vieux (Ping, etc.) illustrent l’ancienne. Les premiers jubilent des heurs de leur engagement et les seconds savourent les retombés de leur choix de faire de la politique. Toutefois, tous sont confrontés aux malheurs de s’engager en politique, surtout lorsqu’ils deviennent persona non grata : mesures judiciaires, violence psychologique et physique.

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Mots-clés : Engagement politique, Gabon, heurs, malheurs, sociologie politique
Index géographique : Gabon
Index historique : xxie siècle
SOMMAIRE

Introduction
I. I. Brève synthèse sur l’engagement politique en contexte gabonais au xxie siècle
1) La période de stabilisation (2000-2009)
2) La période de configurations nouvelles (de 2009 à nos jours)
II. Identification des personnes engagées
1) Les engagés de la majorité présidentielle
2) Les engagés aux vues opposées au pouvoir
III. Heurs de l’engagement politique en république gabonaise
1) La nouvelle génération jubile
2) L’ancienne génération savoure
IV. Malheurs de l’engagement politique au Gabon
1) Les mesures juridico-légales (emprisonnement, radiation à la fonction publique, etc.)
2) Les manœuvres de violence psychologique (intimidation, chantage, etc.)
3) Les actes de violence physique
Conclusion
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Introduction 

L’engagement (politique, associatif, intellectuel, etc.) ne cesse d’être interrogé. Plusieurs appels à contributions, à communications et diverses publications scientifiques[1], révèlent l’intérêt constant de cette question, dans un monde où maints gouvernements appliquent insidieusement « le conditionnement psychologique », afin de réaliser sur leurs populations, l’idéal de servitude volontaire (1576) d’Étienne de la Béotie. Mais qu’est-ce que l’engagement ? On peut l’appréhender comme une promesse de réaliser une action quelle qu’elle soit. Toutefois, deux éléments ne font pas souvent l’unanimité dans les perceptions sur l’engagement : ce sont les raisons d’agir (approche intellectualiste) et les envies d’agir[2] (approche volontariste). Deux aspects qu’on retrouve dans l’engagement politique.

En effet, l’engagement politique renvoie aux actions et/ou à la participation active de tout citoyen dans la vie politique d’un espace géographique, soit à travers un mouvement indépendant à consonance politique, soit à travers un parti politique[3]. En Afrique subsaharienne, l’engagement politique est très tôt actif avec les évolués (les élites indigènes) entre 1946 et 1960. Cet engagement devient de plus en plus important au sortir des indépendances de maints pays[4] . Les premières personnes qui s’engagent ont un discours tantôt communiste/socialiste, tantôt capitaliste, au regard du contexte particulier de l’époque – la Guerre froide. Il faut choisir son camp et faire la promotion de l’idéologie soutenue.

Le Gabon ne reste pas en marge. Étant une ex-colonie française, ceux qui s’engagent en prônant les visées communistes sont moins appréciés. Pour qu’un regard bienveillant soit porté sur l’engagé, se ranger du côté capitaliste est le mieux à faire. Après la première phase de multipartisme (1957-1966), la création du parti unique s’inscrivait en partie dans cette perspective. L’objectif fut de contrôler la « pensée collective », voire de contrôler les réflexions des engagés sur le terrain politique. Le parti unique[5], à savoir le Parti Démocratique Gabonais (PDG), est le mouvement de domination de la scène politique nationale[6]. Pendant cette période (1967-1989), la contestation est sévèrement réprimée pour les engagés. L’avènement démocratique à partir de 1990, n’a pas enrayé la façon de gérer les engagés considérés comme des « nuisibles du pouvoir ».

D’où le but de cette réflexion qui vise à montrer qu’au Gabon, l’engagement politique, fait en sorte que l’engagé qui ne partage pas ou plus les vues du pouvoir en place, soit perçu comme un « opposant » aux politiques gouvernementales, mieux, comme un pestiféré politique. Il se voit ficher auprès des services de renseignements comme un « élément perturbateur » à surveiller. Spécifiquement, il s’agit de saisir d’une part, les conséquences positives de l’engagement politique, et d’autre part, les impacts négatifs dudit engagement, en mettant en relief le dispositif répressif pour nuire aux engagés devenus des « parias politiques ».

Au regard des connaissances sur ce sujet, nous inscrivons cette analyse dans le champ de la sociologie politique, qui analyse « des gouvernants et des activités de conquête, de contestation ou d’orientation du pouvoir politique »[7]. De même, le prisme théorique guidant notre examen est l’acteur et le système (1977) de Michel Crozier et Ehrard Friedberg. Ici, les acteurs ont une rationalité limitée, de même que les stratégies qu’ils utilisent pour atteindre leurs objectifs personnels pourraient être contradictoires avec les buts de l’organisation à laquelle ils appartiennent. Cette réflexion permet de présenter les heurs (III) et les malheurs (IV) de l’engagement politique au Gabon. Mais avant, il faut identifier préalablement certaines personnes engagées (II), après avoir fait un tour d’horizon synthétique sur l’engagement politique en contexte gabonais au xxie siècle (I).

I. Brève synthèse sur l’engagement politique en contexte gabonais au xxie siècle

Dans cette première partie, nous mettons la focale sur deux points : la période 2000 à 2009, qui marque une certaine stabilisation de l’engagement politique (1) et la période qui va de 2009 à nos jours (janvier 2023), marquant une étape de configurations nouvelles (2).

1) La période de stabilisation (2000-2009)

L’engagement politique trouve une certaine stabilisation au Gabon dans la première décennie de ce siècle. Les personnes (hommes) qui sont mises sur le devant de la scène politique, ne sont pas méconnues des populations – y compris les femmes. Au contraire, de 2000 à 2009, nous observons une cristallisation de l’échiquier politique autour des personnes engagées sous le parti unique, et durant les premières années pendant lesquelles, le processus démocratique connait des avancées et des blocages (1993-1999) comme l’a montré Tim Auracher. Les engagés ont un parcours et une expérience politique, et sont perçus différemment dans l’espace public : entre ceux qui sont considérés comme des ‘‘fidèles’’ de leur parti politique, les transfuges politiques, les dissidents, les opportunistes, etc.

Aucun des engagés n’apporte un discours novateur qui ne soit pas déjà entendu. Dans ce contexte, l’engagement politique dégage une impression de déjà-vu. Avec l’âge avancé du président de la République, on observe des luttes de palais pour la succession au pouvoir et les dynamiques internes dans les partis politiques d’opposition. Si l’élection présidentielle de 2005, n’offre pas ouvertement ces luttes et ces métamorphoses, celle de 2009, en a donné une impression prégnante. On constate des fissurations, des démissions, etc., dans les partis politiques. Certains veulent s’affirmer hors d’un parti politique (André Mba Obame), et d’autres cherchent à s’imposer comme figure de proue du combat politique – Pierre Mamboundou. Une autre page s’ouvre avec l’accession à la magistrature suprême d’Ali Bongo Ondimba (ABO) – déclaré Président le 3 septembre 2009, à l’âge de 50 ans.

2) La période de configurations nouvelles (de 2009 à nos jours)

Le premier mandat d’ABO (2009-2016) ouvre quelques configurations nouvelles dans l’engagement politique. Pour des raisons diverses, certains opposants d’hier acceptent de ‘‘migrer’’ au parti de la majorité, le PDG – le parti présidentiel. Ils reçoivent en retour des nominations. Aussi, des cadres d’antan de certains partis, décident de quitter leur groupe d’appartenance politique, afin de poursuivre individuellement leurs ambitions – (comme) le cas de Jean Ping. De même, les jeunes qui s’engagent le font pour diverses raisons entre autres : la recherche d’emploi, car ils pensent qu’en étant membre d’un mouvement politique, ils ont de fortes chances de trouver du travail ; la précarité sociale, les conditions de vie difficile les poussent à s’engager de manière tous azimuts pour avoir une subsistance saisonnière.

Après l’élection présidentielle d’août 2016, l’engagement politique est encore dynamique. Au sortir de cette élection, on dénombre « 1000 arrestations qualifiées d’arbitraires par la société civile gabonaise »[8], parmi lesquelles celles du docteur Sylvie Nkogue-Mbot qui eut à faire « un rapport sur les blessés par balles de cette crise »[9]. Rien ne sera plus comme avant. Les engagés en politique utilisent de manière accrue les réseaux sociaux, particulièrement Facebook. Dans cet engagement, « la diaspora gabonaise d’opposition en France »[10] contribue significativement. De plus, on voit de ‘‘nouvelles’’ personnes influentes sur la scène politique  c’est le cas de Laccruche Alihanga –, d’autres sont disgraciées et une autre catégorie revient opportunément sur l’échiquier politique – Jean Eyeghe Ndong, René Ndemezo Obiang, Pierre-Claver Maganga Moussavou, etc.

II. Identification des personnes engagées

Les engagés en politique que nous allons identifier sont de deux camps. D’une part, ceux qui sont membres du PDG ou leur parti appartient à de la majorité présidentielle (1). D’autre part, ceux qui démissionnèrent du PDG et/ou leur posture politique est plus proche de l’opposition (2).

1) Les engagés de la majorité présidentielle

Au Gabon, les partis politiques constituant la majorité présidentielle sont nombreux, de même qu’on identifie plusieurs personnes qui en font partie. Les engagés sur le terrain politique que nous sélectionnons dans le cadre de cette analyse, sont ceux ayant occupé des fonctions importantes dans le secteur public et/ou privé. Pour une concision analytique, trois acteurs sont choisis à savoir : Patrichi Tanasa, ancien Directeur Général (DG) de la société Gabon Oil Compagny (GOC) ; Brice Laccruche Alihanga (BLA), ancien Directeur de cabinet (Dircab) du Président de la République ; Ike Ngouoni Aila Oyouomi, ancien Porte-parole de la Présidence de la République. Parmi les aspects qui justifient de les retenir, il y a la proximité politique, les liens avec le chef de l’État et/ou avec ses proches, le sort commun qui leur a été réservé traduisant le revers de la médaille de l’engagement politique. Comme d’autres personnes avant elles, ces trois hommes de la même génération ont joui des bienfaits de la ‘‘fidélité politique’’ et des malheurs qui ne sont pas exclus lorsqu’on s’engage en politique. Ils ne sont pas les seuls, d’autres ont connu un ‘‘destin’’ similaire aux leurs à l’exemple des opposants.

2) Les engagés aux vues opposées au pouvoir

Si les partis de l’opposition sont dans l’ensemble, considérés comme les adversaires politiques du parti au pouvoir, il n’en demeure pas moins que certains d’entre eux n’ont pas de réels adversaires, encore moins, ne portent l’étiquette de parti de l’opposition que pour les nécessités de ‘‘regroupement’’ – entre le bloc de la majorité et celui de l’opposition. Nous remarquons que toute personne qui tient régulièrement un discours en contradiction avec celui des partis de la majorité présidentielle, est indexée et/ou soupçonnée d’opposant. Dans ce sens, nous retenons ici, trois personnalités politiques qui ont profité et paient les frais des risques encourus par l’engagement politique : Jean Ping (ancien cadre du PDG et candidat malheureux à la présidentielle de 2016), Bertrand Zibi Abeghe (ex député du PDG), et Guy Nzouba-Ndama (ancien président de l’Assemblée nationale et président du parti de l’opposition Les Démocrates ). Tous les trois connaissent les jeux et enjeux qui gravitent autour du pouvoir au Gabon et les manières d’agir pour rendre heureux et/ou pour ‘‘punir’’ un adversaire (potentiel ou pas) politique. Comme plusieurs observateurs de la vie politique gabonaise, nous avons constaté les heurs de ces hommes – et ceux des personnes précédemment citées.

III. Heurs de l’engagement politique en république gabonaise

Les six personnalités que nous avons retenues, ont connu des jours heureux dans leur engagement politique. Nous avons la nouvelle génération (1), les personnes très engagées sous ABO et l’ancienne génération (2), les ‘‘vieux’’ du régime depuis Omar Bongo Ondimba (OBO).

1) La nouvelle génération jubile

Commençons par Ike Ngouoni. Étant un des plus proches collaborateurs du Président ABO, nommé Porte-parole de la présidence de la République gabonaise le 13 septembre 2017, ce jeune homme (40 ans en 2017) bénéficie des avantages liés à sa fonction. Il perçoit un salaire mensuel de 25 millions de francs CFA, sans compter d’autres largesses du président. Ce dernier lui aurait donné la somme de 600 millions de francs CFA pour s’acheter une maison[11]. En outre, la communication présidentielle a un budget d’environ 150 à 300 millions de francs CFA qu’il gère[12] alors. Ce qui lui permet de subventionner certains médias, dont un (Urban FM) perçoit 25 millions de francs CFA. Selon plusieurs observateurs, il semble qu’il soit arrivé à ce poste par son appartenance (supposée ou réelle) à l’association des jeunes engagés volontaires (AJEV), un mouvement dont le leader est B. L. Alihanga.

Comme Ike, BLA (37 ans en 2017) est rangé dans le groupe des « hommes du président »[13]. Il est nommé Dircab du Président de la République le 25 août 2017 – près de trois semaines avant la nomination d’Ike Ngouoni. On ne sait pas exactement combien perçoit le dircab, mais il aurait reçu une prime d’environ 1,5 milliards de francs CFA. Cependant, l’influence de ce dernier est perceptible après l’accident vasculaire cérébral d’ABO, le 24 octobre 2018. Avec l’équipe communicationnelle de la présidence, il rassure l’opinion nationale et internationale sur le fonctionnement normal des institutions et assure que les instructions du Président sont suivies. Au troisième trimestre 2019, il fait une ‘‘tournée républicaine’’ dans plusieurs provinces. Il reçoit les honneurs dus au Président de la République : les allégeances sont multiples et il ne manque pas de montrer son influence. À la clôture de cette tournée au stade de Nzeng-Ayong, dans le 6e arrondissement de la commune de Libreville (la capitale gabonaise), le 5 octobre 2019, il dit « celui qui boude, bouge ». Une forme de « mise en garde adressée aux ministres et hauts cadres de l’administration publique mécontents [de son] style de gestion »[14]. Malgré son professionnalisme et son ingéniosité, sa « grande faiblesse, dans tout son parcours, c’est d’avoir toujours été quelqu’un de pressé, dans les affaires comme en politique »[15] – sa chute ne tarde pas.

Parallèlement, Patrichi Christian Tanasa (38 ans en 2018), qui est nommé DG de GOC, lors du Conseil des ministres du 8 mai 2018, est avant tout Conseiller spécial du Président gabonais, chargé de la section industrie, mines et hydrocarbures – et représentant l’État gabonais au conseil d’administration de la société pétrolière Total Gabon. Le « nouvel homme fort du pétrole au Gabon »[16], aurait été « placé » à ce poste par Laccruche « son ami »[17]. Si son salaire est au minimum de 20 millions de francs CFA, ses avantages pécuniaires liés à sa fonction sont de 400 millions de francs CFA[18]. Avec la manne financière résultante de la production pétrolière, Tanasa aurait distribué, selon l’un de ses avocats (Anges Kevin Nzigou), 100 millions de francs CFA, « sur instruction de la présidence de la République aux membres d’une commission spéciale ayant travaillé en juillet 2019 sur le dossier relatif aux risques de pénurie en produits pétroliers »[19]. Membre influent de l’AJEV, il soutient certaines associations et partis politiques, notamment le parti des Socio-Démocrates gabonais (SDC), qui bénéficie « des largesses financières de Christian Patrichi Tanasa »[20]. Le DG de GOC jubile de son statut et des avantages inhérents pendant des mois. Cette joie est écourtée comme celle de Bertrand Zibi Abeghe, un ‘‘illustre’’ de l’ancienne génération.

2) L’ancienne génération savoure

Bertrand Zibi, travaille au côté du feu OBO. Il reçoit de l’argent de ce dernier pour la construction de briqueteries dans l’optique d’aider les jeunes. Membre du PDG et député de ce parti, il a souvent des propos critiques envers l’exploitation forestière, notamment le cas de la société Olam, qu’il qualifie « d’escroc avec la complicité des hommes politiques gabonais »[21]. Un adage populaire en Afrique dit « qu’on ne crache pas dans la main avec laquelle on se sert pour manger », mieux « lorsque ta bouche est pleine, il serait bon de ne pas parler ». Sa position devient plus claire durant la campagne présidentielle de 2016. Alors qu’il est député du parti au pouvoir, lors d’un déplacement du Président de la République dans le Woleu-Ntem (au Nord du Gabon), le député du 2e siège du département du Haut-Ntem démissionne publiquement devant le Président, le 23 juillet 2016. Il change de camp par la suite, pour soutenir le candidat Jean Ping et n’hésite pas à être actif.

S’agissant de Jean Ping (74 ans 2016), il a deux enfants avec Pascaline Mferri Bongo – fille de feu OBO. Membre du PDG, il occupe de hautes fonctions nationales et internationales entre autres : Dircab du Président de la République (1984), Ministre des Télécommunications (1990), Ministre des Mines (1990, 1992-1994), Ministre des Affaires étrangères (1994), Ministre de la Planification (1997 et 1999), Président de l’Assemblée générale de l’ONU (2004), Président de la commission de l’Union africaine (2008). En tant qu’un proche collaborateur de feu Bongo, il engrange une fortune colossale. Ayant un regard bienveillant envers Ali Bongo au cours des trois premières années de son 1 er mandat, la perte de sa réélection à l’Union africaine en 2012, change sa perception sur celui-ci. Ping estime que le Président de son pays ne l’a pas soutenu au profit de la Sud-africaine Nkosazana Dlamini Zuma. Le 19 février 2014, il démissionne du PDG, et il est candidat à la présidentielle d’août 2016. Le divorce avec le système qu’il sert, lui a desservi au fil du temps, à l’exemple d’une autre personnalité importante de la scène politique gabonaise, Guy Nzouba-Ndama.

Guy Nzouba-Ndama (70 ans 2016) fait partie de la génération des politiciens qui ont accompagné le feu président OBO dans sa longévité au pouvoir. S’il est président de l’Assemblée nationale gabonaise (ANG) durant près de 20 ans (janvier 1997-avril 2016) avec un salaire mensuel de 180 millions de francs CFA selon Alain Claude Bilie-Bi-Nze[22], il occupe préalablement plusieurs fonctions à savoir : Directeur général de l’organisme de gestion des bourses et stages (1980), Ministre du commerce (1983), Ministre de l’éducation nationale (1987), Conseiller politique d’OBO (1990), puis à partir de 1990, il entre à l’ANG en tant que député de Koulamoutou au compte du PDG, et est réélu plusieurs fois (décembre 1996, 2001, etc.). Sa position en tant que deuxième autorité du parlement, après le Président du Sénat, sa proximité avec OBO, et cadre influent du PDG, fait en sorte qu’il jouit d’un pouvoir de décision important. En pleine séance plénière de l’ANG, le 31 mars 2016, il démissionne de son poste, puis annonce le 5 avril 2016, sa candidature à la présidentielle de cette même année – il finit par rallier Jean Ping. Mais, le système n’oublie pas ce qui lui tourne le dos et Guy Nzouba-Ndama connaît comme les personnes citées plus haut, les malheurs de l’engagement politique au Gabon.

IV. Malheurs de l’engagement politique au Gabon

L’engagement politique au Gabon est parsemé de multiples faits agréables (lorsque l’engagé est en bons termes avec le pouvoir en place) et désagréables – lorsque l’engagé est disgracié avec le système de gestion du pays. Les malheurs de ce type d’engagement sont divers. Nous allons aborder dans cette partie, les mesures juridico-légales (1), les manœuvres de violence psychologique (2) et les actes de violence physique (3).

1) Les mesures juridico-légales

Lorsque le système de direction de l’État veut nuire aux nuisibles (les engagés qui deviennent des persona non grata), l’un des aspects utilisés c’est le pouvoir judiciaire. Les six profils présentés précédemment, subissent les méfaits des mesures juridico-légales. Bertrand Zibi est arrêté le 1er septembre 2016 et ne sort de prison qu’au 13 septembre 2022. Il est accusé de détention illégale d’armes, d’instigation aux actions violentes contre l’État, etc. Or, pendant les audiences au tribunal, plusieurs de ses accusations sont infondées voire « fabriquées ». D’où certains qui le qualifient de prisonnier politique. De même, Jean Ping est interdit de sortir du territoire et assigné à résidence en 2018. Il connaît un gel de ses avoirs dans certaines banques. Plusieurs de ses soutiens l’ont lâché, son « carnet d’adresses » comme il l’affirme en 2016, n’aurait que peu de pouvoir afin qu’il en use facilement. Le malheur qui s’abat sur lui frappe Brice Laccruche Alihanga. Étant en détention depuis décembre 2019, ce dernier est condamné à 5 ans de prison le 29 octobre 2021. On l’accuse de détournements de plusieurs milliards de francs CFA. Ses « amis » Tanasa et Ngouoni ne sont pas épargnés. Le premier est condamné à 12 ans de prison et doit payer 76 millions de francs CFA d’amende, et le second, interpellé le 21 novembre 2019, est condamné le 26 juillet 2022, à 8 ans de prison, avec 50 millions d’amende. Si les détournements sont mis en avant, c’est plutôt une sorte de « règlement de compte » qui se donne à voir. Le dernier, Guy Nzouba-Ndama, est condamné le 23 décembre 2022, à trois mois de prison avec sursis, de même qu’il doit payer une amende s’élevant à 200 millions de francs CFA. Ce verdict résulte de sa détention d’environ 1,2 milliard de francs CFA, reparti dans trois sacs, en provenance du Congo-Brazzaville, le 18 septembre 2022. Cette somme est saisie par la justice et le verdict de la Cour d’appel de Franceville (au Nord-est du Gabon), précise que cet argent est confisqué et versé au trésor public. Hormis ces mesures issues du pouvoir judiciaire, il y a des manœuvres de violence psychologique.

2) Les manœuvres de violence psychologique

La violence psychologique recouvre différents aspects, notamment l’intimidation et le chantage. Lorsqu’une personne engagée sur le terrain politique devient un indésirable, elle fait face à des pressions psychologiques, soit pour l’amener à revoir sa « posture politique », trahir un de ses proches, soit pour la contraindre à se taire et à ne pas être une gangrène pour le pouvoir. L’intimidation est observée diversement : dans la surveillance par les services de renseignements des déplacements de l’indésirable, dans les menaces téléphoniques avec des numéros masqués, dans la destruction ou la saisie des biens immeubles, dans la restriction des comptes bancaires, etc. Le chantage lui, peut être remarqué lorsqu’on présente à l’indésirable, des preuves accablantes sur sa personne lors des interrogatoires, les menaces de mort sur lui et/ou sa famille, etc. L’ensemble des personnes susmentionnées, ont connu la violence psychologie. L’ONG SOS prisonnier avance que BLA a subi une violence psychologique en prison. Ike Ngouoni est extrait plusieurs fois de sa cellule par le responsable de la sécurité pénitentiaire, afin de subir des intimidations. Ils ne sont pas les seuls, Zibi et Tanasa entre autres, subissent la même violence psychologique, à côté de la violence physique.

3) Les actes de violence physique

Lors de son procès, Ike Ngouoni affirme qu’à la Direction Générale de Renseignement (DGR), un démembrement des services spéciaux gabonais, il est torturé, « humilié, déshabillé et laissé torse nu, en slip près de 48 heures dans une salle appelée le mitard » pour accuser BLA[23]. Le 28 janvier 2020, Patrichi Tanasa est torturé : « trois agents cagoulés vêtus des uniformes des pénitenciers […] se sont introduits, avec visiblement la complicité des gardiens de prison […] dans sa cellule d’isolement de la prison centrale de Libreville à 2 heures du matin ». Ces bourreaux le menacent en disant : « Tu dois savoir qu’on ne s’en prend pas au pouvoir »[24]. Laccruche aussi subit des tortures et l’isolement dans la même prison, tout comme Bertrand Zibi, qui est régulièrement torturé et perd 30 % de sa vue, à cause de la longue période d’isolement dans une pièce sombre où il faisait très chaud. Il en ressort qu’il n’est pas bon de tourner le dos au système de gouvernance au Gabon ou d’être « rejeté » par ce dernier en devenant un « paria ». Lorsqu’un engagé sur le terrain politique offusque ce système fait d’alliance multi-niveaux, de relations de subordinations professionnelles, partisanes, ésotériques, etc., il est exposé au dispositif de violence multiforme. La violence physique sert à rappeler que le pouvoir peut réduire au silence éternel le paria politique, et que sa vie et la durée de son existence sont aux mains de ce dernier.

Conclusion

Il est bon de savoir quelles sont les bonnes et les mauvaises fortunes de l’engagement politique au Gabon. Nombre d’engagés semblent intouchables lorsqu’ils servent le pouvoir et/ou sont appréciés par lui. Poste ministériel, argent, voitures, maisons, etc., leur engagement politique est justifié. Dans ce sens, les raisons d’agir (les causes) et l’envie d’agir (le désir) sont confus par les bénéfices que l’engagé reçoit. Nous sommes dans les heurs de l’engagement politique.

Mieux vaut ne pas se rebeller, être outrecuidant, voire adopter une attitude de défiance, lorsqu’on est un proche du parti au pouvoir, et/ou lorsqu’on fait partie du cercle de proximité du Président de la République. Outre les guéguerres au sein du système de gouvernance, les coups bas entre collaborateurs dans la haute administration publique et privée, le pire qui puisse arriver à un engagé, est de devenir un « pestiféré politique ». Dans cette optique, il comprend et mesure les malheurs qui entourent l’engagement politique.

Étant lui-même sujet de ce malheur, même avec la double nationalité de certains (ex : Laccruche Alihanga, Franco-Gabonais ; Bertrand Zibi, Américano-Gabonais), l’engagé réalise l’infâme traitement que subissent toutes les personnes que le pouvoir considère comme des nuisibles : les activistes (Landry Amiang Washington arrêté à l’aéroport en août 2016, il sort en janvier 2020), les leaders syndicaux (Jean-Rémy Yama est incarcéré depuis le 2 mars 2022) et biens d’autres.

En bref, personne n’est à l’abri, même pas celui qui « mange dans la même assiette que le Président de la République ». Nul n’est intouchable, pas même les caciques comme Ping et Nzouba-Ndama considérés comme des « fidèles parmi les fidèles »[25] de feu OBO. Il faut que les engagés le sachent, surtout ceux qui jouissent encore des heurs de l’engagement politique, car le basculement de leur situation et condition peut arriver à tout moment.

Haut de page AUTEUR

Archange Bissue Bi-Nze,
SSH/SPLE - Institut de sciences politiques Louvain-Europe (SPLE),
(Sous la direction de Michel Liégeois)

Haut de page NOTES




[1] Pascal Perrineau (dir.), L’engagement politique. Déclin ou mutation ?, Paris, Presses de la Fondation Nationale des sciences politiques, 1994 ; Guy Coq, L’engagement politique, Paris, Michalon, 2008 ; Patrick Charaudeau (dir.), Humour et engagement politique. La dictature c’est fermé ta gueule. La démocratie c’est causé toujours, Limoges, Lambert-Lucas, 2015.

[2] Jean-Philippe Pierron, « L’engagement. Envies d’agir, raisons d’agir », Sens-Dessous, vol. 1, 2006, p. 53-57.

[3] Claude Dargent, « Chapitre 1. Engagement social, engagement politique» , Martine Barthélemy (dir.), Le réformisme assumé de la CFDT. Enquête auprès des adhérents, Paris, Presses de Sciences Po, 2012, p. 50-62.

[4] Joseph Bipoun-Woun, « Essai sur l'engagement politique dans l'Afrique des États », Présence Africaine, n° 69, 1er trimestre 1969, p. 11-28.

[5] Wilson-André Ndombet, Partis politiques et Unité nationales au Gabon (1957-1989), Paris, Karthala, 2009.

[6] S. Michel Ajami, « Le rôle prédominant du parti unique institutionnaliste au Gabon », Revue juridique et politique : indépendance et coopération, vol. 30, n° 1, 1976, p. 114-129.

[7] Anne-Cécile Douillet, « Introduction », dans Anne-Cécile Douillet (dir.), Sociologie politique. Comportements, acteurs, organisations , Paris, Armand Colin, 2017, p. 12.

[8] Rockaya Ditengou, Politique, médias et développement : l’usage des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans le cas du Gabon en Afrique centrale, Paris, Thèse de doctorat en sociologie, 2016, p. 257.

[9] Idem, p. 264.

[10] Delphine Lecoutre, « La diaspora gabonaise d’opposition en France : une mobilisation politique à l’épreuve de la crise post-électorale de 2016 », Études de l’Ifri, Ifri, octobre 2020, p. 12.

[11] Effayong, « Ike Ngouoni : 600 millions pour sa maison et 25 millions de salaire mensuel », ABCD Gabon [En ligne], 26 juillet 2022, disponible sur https://abcdgabon.com/2022/07/26/ike-ngouoni-600-millions-pour-sa-maison-et-25-millions-de-salaire-mensuel/, consultée le 20/12/2022.

[12] Lyonnel Mbeng Essone, « Gabon : Ike Ngouoni condamné à 8 ans de réclusion criminelle et 50 millions d’amende », Gabon média time [En ligne], 26 juillet 2022, disponible sur https://www.gabonmediatime.com/gabon-ike-ngouoni-condamne-a-8-ans-de-reclusion-criminelle-et-50-millions-damende/, consultée le 20/12/2022.

[13] Mathieu Olivier, « Gabon : les (nouveaux) hommes du président », Jeune Afrique [En ligne], 27 novembre 2017, disponible sur https://www.jeuneafrique.com/mag/491219/politique/gabon-les-nouveaux-hommes-du-president/, consultée le 20/12/2022.

[14] Griffin Ondo Nzuey, « Celui qui boude, il bouge ! », Gabon review [En ligne], 10 octobre 2019, disponible sur https://www.gabonreview.com/celui-qui-boude-il-bouge-un-nouveau-concept-est-ne/, consultée le 20/12/2022.

[15] Le Monde/AFP, « Ascension et chute de Brice Laccruche, qui se rêvait président du Gabon », Le Monde [En ligne], 05 décembre 2019, disponible sur https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/12/05/ascension-et-chute-de-brice-laccruche-qui-se-revait-president-du-gabon_6021773_3212.html, consultée le 20/12/2022.

[16] Florent Mbadinga, « Nommé à la tête de Gabon Oil Compagny, Patrichi Christian Tanasa devient le nouvel homme fort du pétrole au Gabon », La Libreville [En ligne], 9 mai 2018, disponible sur https://lalibreville.com/nomme-a-tete-de-gabon-oil-company-patrichi-christian-tanasa-devient-nouvel-homme-fort-petrole-gabon/, consultée le 20/12/2022.

[17] Africa Intelligence, « Le dircab de Bongo place son ami PatrichiTanasa à la GOC », Africa Intelligence [En ligne], 22 mai 2018, disponible sur https://www.africaintelligence.fr/afrique-centrale/2018/05/22/le-dircab-de-bongo-place-son-ami-patrichi-tanasa-a-la-goc,108311066-art, consultée le 20/12/2022.

[18] Thomas Ibinga, « Procès GOC : Ali Bongo arrosait de milliards ses fidèles collaborateurs dont son fils Noureddin ! », Info 241 [En ligne], 20 juillet 2022, disponible sur https://info241.com/proces-goc-ali-bongo-arrosait-de-milliards-ses-fideles,7094, consultée le 20/12/2022.

[19] Griffin Ondo Nzuey, « Patrichi Tanasa en cassation : ses avocats sont plutôt optimistes », Gabon review [En ligne], 23 juillet 2022, disponible sur https://www.gabonreview.com/patrichi-tanasa-en-cassation-ses-avocats-sont-plutot-optimistes/, consultée le 20/12/2022.

[20] Roxanne-Bouenguidi, « Fusion-absorption PDG/RV/SDG : faillite morale », Gabon review [En ligne], 23 novembre 2021, disponible sur https://www.gabonreview.com/fusion-absorption-pdg-rv-sdg-faillite-morale/, consultée le 20/12/2022.

[22] Gabon review, « Le salaire de Nzouba Ndama dévoilé par Bilie-By-Nze », Gabon review [En ligne], 8 juillet 2016, disponible sur https://www.gabonreview.com/salaire-de-nzouba-ndama-devoile-bilie-by-nze/, consultée le 20/12/2022.

[23] Griffin Ondo Nzuey, « Ike Ngouoni : “J’ai été humilié, torturé et intimidé pour incriminer Brice LaccrucheAlihanga” », Gabon Média Time [En ligne], 25 juillet 2022, disponible sur https://www.gabonreview.com/ike-ngouoni-jai-ete-humilie-torture-et-intimide-pour-incriminer-brice-laccruche-alihanga/, consultée le 20/12/2022.

[24] Antoine Relaxe, « Craignant pour sa vie, Patrichi Tanasa gravement torturé en prison adresse une lettre d’adieu à sa famille », Gabon Actu [En ligne], 30 janvier 2020, disponible sur https://gabonactu.com/craignant-pour-sa-vie-patrichi-tanasa-gravement-torture-en-prison-adresse-une-lettre-dadieu-a-sa-famille/, consultée le 20/12/2022.

[25] Patrice Moundounga Mouity, « La curialisation du pouvoir au Gabon sous Omar Bongo. Socio-analyse d’une « palace politics » au prisme de la sociologie de l’État en Afrique », dans Paul Elvic Batchom, L’État ailleurs. Entre logiques de cas et dynamiques du village, Paris, L’Harmattan, coll. « Études africaines », 2018, p. 81-109.

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Pour citer cet article :
Archange Bissue Bi-Nze, « Heurs et malheurs de l’engagement politique au Gabon », Revue TRANSVERSALES du LIR3S - 23 - mis en ligne le 22 mai 2024, disponible sur :
http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/Transversales.html.
Auteur : Archange Bissue Bi-Nze
Droits :
http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/Transversales/menus/credits_contacts.html
ISSN : 2273-1806